L'histoire au théâtre : « Un fort au pays des Illinois. Crèvecoeur, 1680 »

Depuis 2017, l'UFR Histoire, Histoire de l'Art et Archéologie propose, grâce à Yann Ligneux (maître de conférence en histoire moderne) un atelier culturel à des étudiants en histoire de jouer autrement avec leur discipline.

Le projet Tribu en 2019 proposait une relecture de l'histoire par l'intime avec des correspondances, des photographies de famille, des témoignages... Cette fois-ci, c'est une toute autre écriture qui a été testé : l'écriture théâtrale. Accompagnés de l'auteure et comédienne Penda Diouf, quatorze étudiants de L2 et de L3 Histoire ont écrit une histoire française en Amérique : celle du fort Crèvecoeur, fondé par le Cavalier de La Salle en janvier 1680.

Découvrir l'écriture théâtrale et la mise en scène

Les étudiant·e·s de l'atelier culturel ont pu découvrir l'écriture théâtrale grâce à trois pièces jouées au TU-Nantes, accompagnées à chaque fois d'une présentation de la pièce et d'une rencontre avec les artistes : 

  • Tanguy Malik Bordage, Guerrières, le 11 novembre 2021,
  • Marion Siéfert, _jeanne_dark_, le 24 novembre 2021,
  • Du collectif Munstrum Theatre, Zypher Z., le 9 décembre 2021.
Puis, les participant·e·s ont découvert grâce à un dossier documentaire l'histoire particulière de ce fort en pays Illinois, les sources éparses et contradictoires, les manques dans le récit. Avec l'aide de l'artiste Penda Diouf, ils ont alors expérimenté l'écriture collective, pour dépasser ces trous et écrire un récit du fort Crèvecoeur, avec leurs subjectivités, leurs choix et leurs influences. Maxime a ainsi « appris une autre façon de "faire de l'histoire" », avec comme objectif principal de « briser l'histoire dite traditionnelle et écrite par une élite ». Dans la même optique, Alix souhaitait que « ce soit compréhensible pour tout le monde ». Le travail en groupes, déstabilisant dans un premier temps, a permis de définir les différents personnages, les enjeux de la pièce, sa structure. La volonté était alors d'écrire une histoire sociale, des protagonistes oubliés, inconnus ou invisibles : « accorder une place minimale à Cavalier de La Salle à l'instar de celle que ces grands personnages ont accordé aux masses populaires » (Maxime).
Le texte écrit, c'est Adrien Serre qui a pris le relais pour guider les étudiants-acteurs, pour le jeu et la mise en scène de cette nouvelle pièce. Ils ont ainsi dû interpréter plusieurs rôles, défi supplémentaire pour ces apprentis comédiens, mais qui donnait un caractère bien particulier à la pièce.

Une représentation au TU-Nantes

Le 30 mars 2022, dans le cadre des Mercredis de l'histoire publique et des Nocturnes de l'Histoire, les étudiant·e·s s'emparent de la salle de répétition du TU-Nantes et présentent devant un public curieux Crèvecoeur ou le récit de l'ensauvagement. Ils racontent l'aventure d'une quinzaine de Français durent les mois de janvier-avril 1680, au sud des Grands Lacs canadiens, dans le pays des Illinois. Partis pour fonder les bases d'un nouvel établissement français en Amérique du nord, pour servir de point de départ à la reconnaissance du cours du Mississippi ainsi qu'évangéliser les païens et civiliser les sauvages, les membres de l'expédition de Cavalier de La Salle découvrent tout à la fois l'étrangeté du monde et celle nouée dans le coeur de chacun. Partis donc pour faire rayonner la gloire et la grandeur de Louis XIV, leur aventure, plus que la seule dissipation d'une illusion civilisatrice, est l'expérience marquant d'une dissolution et la naissance d'une nouvelle conscience : « nous sommes tous sauvages ».
 
  • Si vous l'avez manquée, découvrez la représentation suivie d'un temps questions-réponses avec les étudiants-comédiens et leur enseignant, Yann Lignereux et de l'artiste Adrien Serre.

 
Texte écrit par : Quentin Bechennec ; Alexei Cotel ; Felana Couthouis ; Alix Debaize ; Pierre Forges ; Maxime Furic ; Guillaume Gipteau ; Hadrien Jahény ; Théopold Lemaire-Masson ; Axelle Perrée ; Axelle Pondevie ; Thierno Amadou Sarr ; Manina Toumi ; Erwan Viaud

Pièce interprétée par : Felana Couthouis ; Alix Debaize ; Pierre Forges ; Maxime Furic ; Guillaume Gipteau ; Hadrien Jahény ; Théopold Lemaire-Masson ; Axelle Pondevie ; Erwan Viaud

« L'histoire est une science mais une science qui est compréhensible par tous. »

  • Rencontre avec Yann Lignereux, l'enseignant-chercheur à l'initiative de l'atelier culturel

Pourquoi proposez-vous aux étudiants un atelier culturel au sein même de leur cursus et pas seulement en ouverture ? 

C’est important de considérer que l’histoire c’est un récit, un récit scientifique mais aussi un texte. Il était donc intéressant que les étudiants dans le cours de leur formation de licence ait la vision la plus large de leur discipline. Ils doivent produire des textes scientifiques, canoniques, avec des règles méthodologiques dans le cadre de leur formation. Mais cela n’épuise pas tout ce qui fait le rapport à l’histoire aujourd’hui et notamment la possibilité d’en faire un objet de fiction, un objet d’interprétation, un objet de mobilisation - pour de bonnes ou de mauvaises raisons, politiques, culturelles, économiques ou financières. Donc c’était l’occasion pour qu’ils puissent élargir leur rapport à l’histoire.

Différentes formes ont été expérimentées dans cet atelier depuis 2017. Pourquoi avoir choisi l'écriture théâtrale et le jeu cette année ?

La forme théâtrale associait une activité d’écriture et une activité d’appropriation et d’interprétation. Je trouvais donc que cela permettait de faire un duo intéressant pour les étudiants. L’expression théâtrale met encore plus en évidence le côté un peu rhétorique, dramaturgique de l’écriture historique. Elle est vraiment tenu à un arc narratif extrêmement serré, peut-être encore plus nécessaire puisque c’est oral, c’est une performance. Donc il faut peut-être vraiment s’intéresser à ce qui est marqueur dans un récit historique. Il y avait une sorte d’urgence, de mouvement dramatique qui se prêtait bien à la forme théâtrale. 

Que retirez-vous de cet atelier en tant que professionnel, historien, professeur… ?

Oui, une grande satisfaction de voir des étudiants heureux. Je l’ai dit le soir de la représentation. C’est vrai qu’après la Covid, dans l’atmosphère assez sinistre qui est la nôtre depuis quelques mois, dans une actualité qui n’est pas la plus sympathique - internationale ou nationale -, cela me semblait important de voir des étudiants faire quelque chose ensemble. Cela croise des L2 et des L3, donc cela croise un peu des habitudes, des façons de travailler, de se connaître. Surtout, moi cela m’a apporté une confiance dans l’étudiant, sur sa motivation à suivre un projet, à faire du commun. C’était déjà une première satisfaction.
Une deuxième satisfaction, plus professionnelle : se rendre compte qu’il y a des moments où l’historien ne peut pas parler à la place des sources. Il y a des moments où il y a des silences, où il y a des contradictions entre les sources. L’historien peut simplement les signaler mais il appartient peut-être à un autre média, à une autre posture, celle de l’artiste, de proposer du vraisemblable, de proposer du récit. C’est là que le travail de l’historien s’arrête et c’est là que le travail de l’artiste devient intéressant. C’est pour cela que la proposition de Penda Diouf de pouvoir travailler avec nous était extraordinaire parce qu’elle travaille sur la question des identité, sur la question des transformations, sur le commun, le collectif. Cela a été pleinement approprié pour justement essayer d’avancer sur ces silences de l’histoire. 

Cette démarche permet donc d'amener la science historique auprès de publics variés ?

On est une science mais une science qui est compréhensible par tous. On n’a pas un langage en équations, on n’a pas un langage technique extrêmement sophistiqué. L’histoire c’est la langue ordinaire, la langue commune. Il est intéressant de signaler ce qui fait la scientificité de notre récit et là où ce récit scientifique s’arrête et reconnaît ses limites pour donner la parole à d’autres sans qu’il y ait un « hiatus » entre un langage scientifique historien qui serait un jargon et une sorte de création artistique qui finalement s’affranchirait de ce qui précède. Avec l’histoire publique, c’est ce que l’on va essayer de faire. On a vraiment une urgence à occuper ce champ-là qui n’est pas de la médiation culturelle, qui n’est pas du journalisme historique mais qui est vraiment une discipline en soi avec des débouchés professionnels.

Cet atelier, reconduit chaque année, rassemble toujours un groupe motivé et curieux. « C'est une formidable expérience que je recommande à un plus grand nombre. J'ai été très content que notre pièce intéresse un public et nous avons eu le droit à une avalanche de questions. » (Maxime)

L'intervenante

Penda Diouf est autrice pour le théâtre et l’opéra, et comédienne. Engagée pour la diversité des représentations et des formes narratives, elle est à l’origine du label « Jeunes textes en liberté » et a écrit entre autres, les pièces La grande ourse et Pistes…Cette dernière a notamment été jouée au Théâtre Universitaire de Nantes dans le cadre du festival les Récréâtrales au mois de juin dernier, organisé par le Grand T.

Mis à jour le 06 juillet 2023.
https://www.univ-nantes.fr/vie-de-campus/culture/jouer-lhistoire-pour-mieux-la-partager-«-un-fort-au-pays-des-illinois-crevecoeur-1680-»